Le festival

Epilogue : Blues Rules Crissier Festival 2017 – retour sur le festival

Blues Rules 2017 - Epilogue

Epilogue :

La huitième édition du Blues Rules Crissier Festival s’est déroulée les 19 & 20 mai 2017 dans les jardins du château de Crissier où nous avons accueillis 14 groupes dont 3 premières européennes, 80 bénévoles, le soleil (malgré une météo défavorable et suspense insoutenable!) et 1500 festivaliers venant profiter du caractère convivial et chaleureux de ce festival unique en son genre, tant par son atmosphère que par sa programmation…
Cette année, nous laissons à Christophe Goffette, journaliste musical français dont la réputation n’est plus à faire, le soin de nous le raconter avec sa grosse verve :

Les huit Rules du Blues qui laisse le bon temps rouler*

Huit ans que ça durait !
Huit ans que l’ami Thomas L. (le peu de décence, de réserve et de tact qui m’anime encore m’interdit de le nommer ici —pas envie, surtout, de recevoir en retour un kouign amann piégé à l’anthrax !), et Vincent D. (acolyte à la pilosité toute wolverienne, à la flip flop gracile et au regard ô combien malicieux qu’on imagine nourri depuis son plus jeune âge aux notes bleutées aussi profondes que diaboliques) me tannaient pour que j’enfourche la Goofmobile et vavavoume (oui, du verbe vavavoumer, ne vavavoumez-vous donc jamais ?) jusqu’à Crissier, à deux pets de canard de Lausanne (je situe, pour les non locaux non détenteurs d’un compte en Suisse).

Huit ans déjà que les amis mélomanes de toutes origines et de tout crin, plus courageux et/ou plus disponibles que moi, succombaient aux alléchantes et affriolantes affiches de ces Jake et Elwood d’adoption helvète (je ne veux pas balancer, mais y’a quand même un Breton dans le lot —et un qui repart vite fait à Paris une fois la messe supersonique dite !) et avaient fait ce grand saut vers l’inconnu (des bluesmen biberonnés aux eaux du Mississippi dans le parc d’un château en Suisse, avouez que cette simple évocation a de quoi rendre asymétrique le plus dense des monosourcils !) et en plus m’avaient infligé par la suite les tortures les plus démoniaques (pire que le bambou sous les ongles, c’est dire) en me vendant-vantant-venividiviciant les bienfaits pour les cages-à-miel-mais-pas-que du festival, avec tout ce que le vocabulaire suisso-gaulois pouvait exprimer en louanges diverses, bénédictions même pas avariées des divinités de la chose blues, et autres dithyrambes exacerbouchesbées, le tout à grands renforts d’onomatopées primales, rendant le périple encore plus mystérieux et, je l’avoue, particulièrement attractif…

Petit complément météo pas si négligeable que ça : huit ans que le soleil brillait sur Crissier, un défi permanent aux fréquentes et épaisses précipitations de cette région du globe, comme pour encourager notre duo de frangins de cœur et de sang chasseurs de bluesmen à persévérer dans sa quête de la programmation la plus fantasmidablement variépique qui soit.
De fait, quand j’arrive sur les lieux… c’est le déluge et le parc s’est transformé en marécage. Mais n’oublions pas que Zeus, toute divinité suprême qu’il est, est aussi et surtout le symbole du Ciel bleu. Et Zeus a le blues, c’est bien connu (ses petits problèmes familiaux pourraient faire l’objet d’un article parallèle), ce qu’il prouva une fois de plus en éparpillant façon puzzle les derniers rabougrius cumulus récalcitrants, et ce à peine quelques dizaines de minutes avant l’ouverture des portes. Quel timing !

Avant de parler musique (oui, quand même un peu et enfin, quoi), avant donc de passer en revue ces bien belles, riches et chouettes united colors (and flavors) of Blues Rules, j’aimerais quand même mettre le doigt (et même appuyer gaillardement là où ça gratouille, soyons fous) sur le fait que de tous les festivals où j’ai pu traîner mes guêtres (soit quand même pas mal depuis que je gribouille sur la chose rock au sens large), je n’ai jamais ressenti pareille chaleur humaine, jamais été aussi bien accueilli et jamais vu autant de chouettes personnes au mètre carré (totalité des bénévoles incluse).
Non non, je ne suis pas en pleine marioncotillardisation aigüe, pas le genre de la maison du tout ! Blues Rules, c’est aussi, d’abord et surtout ça : des visages, des figures… des rires, des fous rires et des sourires de malade… Des discussions animées, du partage, des tapes dans le dos, de la haute voltige relationnelle qui réchauffe (heureusement, parce que ça caillait sévère quand même, cette année)… Et des concerts, forcément, sur la scène (belles lumières, bon son, techniquement tout était irréprochable), mais aussi des interventions entre les concerts, par Marceau Portron et son incroyable cigar box qui sonne comme si elle avait été fabriquée à Memphis (et pas que parce qu’elle a vraiment été fabriquée à Memphis !), aussi et bien sûr, à quelques encâblures derrière la scène, la tente de toutes les jams ! Jusqu’à pas d’heure et au-delà !…
Des visages, des figures, disais-je, et puis des images plein la tête et des bonnes vibrations jusqu’au bout du bout du double fond de nos tympans, si vous me permettez cette image anatomique sans doute quelque peu hasardeuse, mais tout de même assez parlante —et même hurlante, de ce blues qui nous prend par les boyaux et nous fait tournoyer jusqu’à ce que le plus doux des étourdissements s’ensuive. Je vous laisse quelques secondes pour imaginer la chose.

[pause]

C’est bon ? Vous voyez ? Pour résumer et parce que je vous sens déjà un brin fatigué de ma logorrhée billevesesque, un magnifique charivari à vous décoller la pulpe d’une quinzaine d’heures au total, découpé en deux belles tranches, le vendredi puis le samedi soir-nuit…

Par le menu et pour n’oublier personne, ça nous a donné :

Ouverture des hostilités par le Blues Spirit Band, tout un Romand de groupe à lui tout seul (rien que le nom, hein !), qui a su, en zébrant son blues électrique d’impros habiles et rusées, détendre un peu plus l’atmosphère, déjà détendue par l’arrivée des premiers rayons de soleil.

Dans la foulée, Mark Muleman Massey et sa voix éraillée et rugueuse juste ce qu’il faut jouait pour la première fois en Europe, avec dans ses bagages un éventail de cartes postales bluesy, du Mississippi (il est né à Clarksdale, ça ne s’invente pas !) à Chicago, en passant par la prison où, à 19ans, il a été touché par le blues, et l’a appris pour mieux ensuite nous le transmettre à son tour.

Changement total de registre avec le duo Crushed Out : une sirène à la batterie (enfin une batteuse en costume de sirène, mais c’est un peu du pareil au même dans les yeux déjà embués de spectateurs tous plus scotchés les uns que les autres) et un chanteur guitariste joyeusement perché-plongé-concentré (c’est selon) dans son nasty blues très urbain (le duo habite Brooklyn, à New York) aux accents surf et parfois même californiens de haute volée.

Retour par la case suisse, avec un habitué des lieux : Robin Girod (Mama Rosin, Sevdah Dragi Moj…) dont le nouveau groupe, Duck Duck Grey Duck (rien que le nom, le retour du fils de la vengeance !), est un magnifique cocktail molotov de bon nombre de musiques roots originelles (rhythm & blues, blues stricto sensu, country blues, rock & roll, monster psych, etc.), à l’instar de ce que faisait Neal Casal avec Hazy Malaze, la chaleur de la Californie en moins, mais une surdose d’énergie contagieuse en plus.

23h approche, Son of Dave investit la scène. Je dis bien la scène et je dis bien investi, car le Canadien est autant acteur que musicien, entrecoupant ses chansons et reprises admirablement foutraques de monologues aussi drôlissimes que décalées. Et il est même aussi bon acteur que musicien, c’est dire !… Le public amassé devant la scène pour se réchauffer, se marre, lui exulte tout en déroulant son jubilatoire “Wild West Show”…

Puis c’est au tour des Hillbilly Moon Explosion, d’autres habitués de Crissier, de venir asséner leur rockabilly revivaliste mais moderne en diable à l’imaginaire fifties-sixties débridé mélangeant autant jump blues énergique, swing croonisant, rock & roll coups de boutoir et même une pointe de surf garage acidulé juste ce qu’il faut. La chanteuse guitariste rythmique Emanuella étant visiblement frigorifiée, c’est donc à l’inénarrable contrebassiste Oliver qu’a incombé la mission de galvaniser le public. Avec succès.

Il est 1h du matin passée quand arrivent enfin The Marshals et aucun des festivaliers les plus résistants et endurants encore présents ne le regrette, tant leur show fut une sacrée belle surprise. Un groupe carré de chez carré (carré2 quoi !), content de jouer, et qui déroule morceau après morceau un son énormissime, des guitares qui nous prennent par les tripes et s’amusent à faire des nœuds avec, une rythmique sans faux col, et un harmonica gouailleur du plus bel effet.

On ne prend pas les mêmes et on recommence, le lendemain, avec quelques degrés supplémentaires et beaucoup beaucoup de monde sur l’ex-pelouse du parc.

D’emblée, One Rusty Band ‘n Tap réveille les sourires fatigués de la veille et dynamite l’ambiance, avec son duo sans doute unique en son genre de one-man-band et… claquettes !… De quoi vous retourner la tête, littéralement même dans le cas de la très énergique tap-danseuse marsupilamiesque !

Juste après, le public fait une autre belle découverte, en la personne de Sergi Estella, l’Espagnol au sourire invariablement radieux (médaille d’or toutes catégories de la discipline) qui utilise tout ce qui lui passe sous la main (balais compris) et le transforme en guitare, avec au passage un premier hommage à Junior Kimbrough, l’icône du Mississippi Cotton Patch Blues mis en vedette de ce beau millésime 2017.

Et puisqu’on en vient à parler de Kimbrough, voici venir Robert Kimbrough Sr, l’un des fils de Junior (oui, Senior est le fils de Junior, c’est ainsi). Beaucoup d’émotions sur scène, beaucoup de frissons aussi qui parcourent l’ensemble des nombreux festivaliers agglutinés devant la scène. Robert excelle dans un blues un peu plus rock que son paternel, mais les bonnes vibrations sont tout aussi addictives.

Remontons le Mississippi jusqu’à Lorient (si si, c’est possible, la preuve) avec Ronan One Man Band qui saura mettre tout le monde dans sa poche en deux riffs trois mouvements, votre serviteur inclus, lorsqu’il reprendra le vibrant “Soldier” de Calvin Russell, qui lui-même fut un temps Suisse d’adoption. Magnifique performance saluée comme il se doit par un public aux anges.

La température monte sérieusement de plusieurs degrés avec l’arrivée de Ms. Nickki et de sa Memphis Soul Connection, elle qui déjà la veille chantait et dansait au milieu du public pendant les prestations de Duck Duck Grey Duck et de Son of Dave. De la soul blues ou de la country blues ou de la soul country, on ne sait plus et, pour dire les choses, on s’en fout un peu quand même, y compris dans cet autre pays du fromage et des étiquettes. Ce qui compte, c’est le caractère absolument épidémique de la musique de cette Memphis Soul Connection, la voix absolument ahurissante de Ms. Nikki et le fait qu’ensemble ils ont mis tout le monde sans exception à genoux. Chapeau bas !

Autre formation magnifiquement bigarrée, le Big Damn Band emmené de mains de maître par Reverend Peyton, l’homme à la hache-guitare (entre autres !), et qui distille un country blues totalement ébouriffant et ultra rodé (jusqu’à 250 concerts par an !) s’appuyant sur une rythmique percussive unique en son genre composée d’une washboard et d’une batterie…

Enfin, pour clore ces débats aux nuances magnifiquement bleutées, c’est un Cameron Kimbrough (lui est le petit-fils Kimbrough au jeu des 7 familles, pas le fils de Robert, mais son neveu) très très ému que nous retrouvons en fermeture de rideau, du coup accompagné (Reverend Peyton, Marceau Portron…) pour une ultime jam sous le ciel étoilé de Crissier. Cameron est venu à la musique sur le tard (son premier EP n’est sorti que l’année dernière) mais heureusement il a fini par y venir. Comme souvent au Blues Rules, il s’agissait de son premier concert européen. Bravo encore aux organisateurs pour toutes ces belles découvertes et exclusivités.

Ce tour d’horizon de nos cajoleurs de tympans d’un week-end ne serait pas complet sans la mention en bonne et due place de mon voisin de veillée pendant deux soirs, j’ai nommé DJ Phil, l’œil vif du grand fauve, l’étincelle dans les yeux du singe à qui on n’apprend plus à faire la grimace et toujours ce souci du détail, que ce soit la meilleure poche du jean’s pour y mettre sa flasque de Jack, les vinyles à faire tourner pour telle ou telle occasion et surtout pas telle autre, sans parler du plus important : le choix de la paire de bottes qui va bien avec tout ça !**

Il aura donc fallu huit ans et autant d’éditions pour me faire bouger mon séant tenant (à défaut de séance tenante donc) jusqu’au Blues qui Rules et amasse pas mal de mousses (et autres breuvages non houblonnées). La question qui demeure en suspend est maintenant : combien d’années faudra-t-il pour ne plus me faire venir à Crissier car, en vérité je vous le dis, en presque paraphrasant Michel Muller, air de courge incrédule incluse : “Le Goof, fallait pas l’inviter !“.

Christophe Goffette
Journaliste musical
Ex rédacteur en chef Crossroads, Best, Compact, Mediators…

* cherchez pas dans la prose ci-avant les fameuses huit “rules”, je trouvais juste que le titre claquait bien comme un bon vieux riff en Sol des familles (hé oui, le Sol, c’est le G comme Goffette, mon nom de famille ; coïncidence ? Je ne crois pas)
** Phil, je t’ai dit le vendredi dès que nous avons été présentés que ces bottes finiraient par passer à la postérité. Dont acte.

Live @ Blues Rules 2017 :


La Playlist de Phil DJ :


8 photographes, 8 photos chacun pour la 8ème édition :

Amdo photos – JC Arav – Artgentique.com – C. Losberger – Janky – LN Pixelle – Multimedia.info – S. Cruciani

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